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Pr James MOUANGUE KOBILA, vice-président du RINADH au CUA

DISCOURS D'OUVERTURE DU PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME DU CAMEROUN, VICE-PRÉSIDENT DU RINADH À L'OCCASSION DU 7E DIALOGUE POLITIQUE DE LA COMMISSION DE L'UNION AFRICAINE (CUA) - RÉSEAU DES INSTUTIONS NATIONALES AFRICAINES DES DROITS DE L'HOMME (RINADH)


7 - 9 mai 2025

L'intégralité du son allocution

Il m’échoit l’honneur de prendre la parole à l’occasion de l’ouverture des

travaux de ce 7

e Dialogue politique CUA-RINADH au nom du Comité

directeur du RINADH dont le président, Joseph WITTAL, président de

l’INDH du Ghana,

fait actuellement rayonner le RINADH ailleurs.

Depuis sa création en 2017, le Forum de dialogue politique CUARINADH joue un rôle déterminant dans l’évaluation, la promotion et le

renforcement des INDH sur notre continent, de même que sur la coopération


intra-africaine en matière de Droits de l’homme et des peuples. Nous sommes

réunis aujourd’hui à Addis-Abeba pour débattre d’un enjeu fondamental de

justice historique, au cœur de nombreux débats contemporains sur les Droits

humains, la mémoire, la souveraineté et l’équité : La justice réparatrice pour

les Africains et les personnes d’ascendance africaine.

Le thème de cette année est également pris en compte par le Comité des

Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale qui devait tenir,

le 24 avril 2025, une discussion générale virtuelle d’une demi-journée à ce

sujet dans le cadre de sa 115e

session. Cette rencontre vise à éclairer

l’élaboration d’une Recommandation générale sur les réparations pour les

préjudices historiques et actuels de l’esclavage – dit « de biens meubles » –

affectant les personnes d’ascendance africaine. Ce thème nous engage à agir

avec fidélité à la vérité historique, avec le courage moral et la détermination,

par des actions concrètes.

À cet effet, il faut commencer par rappeler la différence entre la « justice

réparatrice » qui nous réunit ici et la « justice restaurative » dont

l’universitaire américain Howard ZEHR est le pionnier depuis le début des

années 1970. Ces deux termes sont souvent utilisés comme synonymes ; mais

dans certaines approches, une distinction nuancée peut être faite, surtout selon

les contextes linguistiques ou juridiques.

Ainsi, tandis que la « justice réparatrice » est un terme plus courant en

droit francophone qui correspond à une approche qui met l’accent sur la

réparation des torts causés à la victime, à la communauté et parfois à l’auteur.

Elle vise à reconnaître la souffrance subie par les victimes et à restaurer

l’équilibre social par des mesures de réparation matérielle, symbolique et/ou

morale.

La « justice restaurative », quant à elle, apparaît plutôt comme la

traduction littérale du terme anglais restorative justice. Elle se concentre

davantage sur le dialogue, la responsabilisation et la restauration du lien

social. Le cœur de cette approche est la rencontre volontaire et encadrée entre

la victime, l’auteur et la communauté, dans un environnement sécurisé.

Depuis 1963, date à laquelle l’Organisation de l’unité africaine (OUA),

devancière de l’Union africaine (UA), s’est saisie de cette grande cause, la

question est restée inscrite à l’agenda du continent. Pendant des décennies, ce sujet a tantôt été quelque peu oublié, tantôt relégué au second plan. Certains

l’avaient même considéré comme périmé. Néanmoins, l’UA a soutenu

plusieurs initiatives importantes en ce sens, allant des efforts visant à obtenir

la restitution des objets culturels pillés à la promotion de revendications

formelles de réparations à l’échelle mondiale. Cinq initiatives parmi les plus

emblématiques ont été recensées dans quatre pays africains :

- le Fowler Museum de l’Université de Californie à Los Angeles (ÉtatsUnis), a restitué à la République du Ghana des objets pillés en février

2025 ; ces objets, arrachés au royaume Ashanti par les forces

britanniques lors de la guerre de Sagrenti en 1874, ont été rendus 150 ans

après leur spoliation ;

- l’Allemagne a restitué huit artefacts volés il y a plus de cent ans au peuple

Lebialem de la Région du Sud-Ouest du Cameroun ; la cérémonie de

restitution a eu lieu le 30 mars 2024 dans les locaux de la Fondation

Solomon Tandeng Muna à Yaoundé ;

- le Royaume-Uni a restitué, en avril 2024, 32 artefacts en or et en argent

pillés au Ghana il y a plus de 150 ans ; ces objets, dérobés à la cour de

l’Asantehene lors des conflits du XIXe

siècle, faisaient partie d’un vaste

programme de rapatriement ;

- la France a restitué au Bénin, en novembre 2021, 26 œuvres d’art

accaparées par les troupes coloniales en 1892 ; parmi ces objets

figuraient des portes de palais, des trônes royaux et des bâtons de

guerriers, accueillis lors d’une cérémonie présidée par le Président

Patrice Talon ;

- le Metropolitan Museum of Art de New York a officiellement restitué à

l’Égypte le cercueil doré d’un prêtre égyptien nommé Nedjemankh,

acquis en 2017 ; la remise de l’objet a eu lieu lors d’une cérémonie de

rapatriement en septembre 2019.

En ce qui concerne l’engagement au niveau mondial, lors de la quatrième

session du Forum permanent des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine qui s’est tenue du 14 au 17 avril 2025 à New York, les

représentants de l’Union africaine, ainsi que ceux de la communauté

caribéenne (CARICOM), ont exhorté les acteurs internationaux pertinents à

passer des discussions aux actions concrètes en ce qui concerne les réparations.

Ils ont appelé à la création d’un Forum de haut niveau des Nations unies sur

les réparations, qui permettrait de promouvoir une approche mondiale et

coordonnée visant à remédier aux conséquences durables de l’esclavage, du

colonialisme et du racisme systémique. L’UA et la CARICOM ont également

plaidé pour un large soutien aux résolutions qui jetteraient les bases de la

justice réparatrice et tiendraient les États responsables pour leur rôle dans le

crime imprescriptible que constitue l’esclavage.

La réparation des crimes historiques ne relève ni de la charité1 ni d’un

apaisement trompeur de la conscience. Comme rappelé plus haut, elle

s’enracine dans les principes de justice, de souveraineté, d’humanité et

d’équité.

Des siècles durant, l’Afrique et ses peuples ont subi les affres de

l’exploitation coloniale, de l’esclavage, de l’apartheid et de la domination

raciale. La prospérité de nombreuses nations s’est ainsi bâtie sur le pillage des

ressources africaines et sur la négation de la dignité des peuples africains, y

compris celle de leur apport au « rendez-vous du donner et du recevoir »,

expression forgée par Léopold Sédar SENGHOR. Aujourd’hui encore, les

séquelles de cette histoire se manifestent à travers :

i)

l’abaissement des esprits dû au scandale de l’esclavage ;

ii) la pauvreté et le sous-développement, filles de la colonisation sans

scrupules ; autant qu’à travers

iii) la marginalisation et des identités meurtries.

La note conceptuelle de la quarante-cinquième session ordinaire du

Conseil exécutif de l’Union africaine, qui s’est tenue du 19 juin au 19 juillet

2024 à Accra, au Ghana, sous le thème Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine par le biais des réparations, a donné une

orientation politique claire. Il y est recommandé que la justice réparatrice soit

globale, coordonnée et contraignante. Elle doit mobiliser des mécanismes

juridiques, aboutir à des compensations économiques, des actes de restitution,

la reconnaissance symbolique et à des réformes institutionnelles.

Il ne s’agit pas seulement de demander réparation, mais aussi de

transformer les rapports de pouvoir mondiaux, de restaurer la dignité, et de

bâtir un avenir fondé sur la justice historique et la souveraineté africaine. La

justice réparatrice doit être intégrée à toutes les politiques et stratégies

économiques.

Les Institutions nationales des Droits de l’homme ont un rôle central à

jouer à cet effet, et elles doivent pleinement assumer ce défi, y compris :

- en documentant les crimes historiques au niveau national ;

- en offrant une expertise juridique indépendante dans les négociations

internationales ;

- en servant de pont entre les victimes collectives (peuples,

communautés) et les institutions publiques et

- en contribuant à sensibiliser les jeunes générations et à

institutionnaliser la mémoire.

Mais, pour que nous puissions remplir efficacement cette mission, il est

impératif que les INDH fassent davantage pour s’imposer par la qualité de

leurs travaux, de leurs interventions et en multipliant les interactions fécondes

avec les partenaires pertinents.

La justice réparatrice étant une tâche colossale qu’aucune institution ne

saurait porter seule, une approche multiacteurs s’impose. Les gouvernements

devraient faire preuve d’une volonté politique encore plus forte et le rôle de

coordination des Communautés économiques régionales et des organes de

l’Union africaine devrait être concrétisé par de nouveaux mandats explicites.

Quant à elles, la société civile et les communautés doivent être encouragées et

le leadership local doit être renforcé. Nous devons passer de l’engagement à

l’action, des bonnes intentions et proclamations aux résultats concrets.

L’Afrique s’est dotée d’instruments et d’institutions régionales de

protection des Droits de l’homme parmi les plus avancés au monde, ce qui

constitue un motif de fierté. Mais à quoi servent les traités et les bonnes

décisions si leur mise en œuvre est aléatoire, imprévisible et constitue trop

souvent un défi au principe cardinal de l’Etat de droit ? Il importe de veiller à

la cohérence entre les engagements juridiques souscrits par les États et leur

mise en œuvre effective. Ainsi, l’inapplication des décisions de la Cour

africaine des Droits de l’homme et des peuples, tout comme le non-respect des

instruments souverainement ratifiés, risquent d’affaiblir la portée de nos

engagements communs. Combler cet écart demeure essentiel pour renforcer la

crédibilité du système continental de protection des Droits de l’homme.

Pour conclure, je voudrais souligner la pleine adhésion du RINADH à

tous les objectifs du présent Forum, à savoir :

- examiner l’état des INDH en Afrique et leur rôle dans la promotion de

la justice réparatrice dans le cadre du thème de l’année retenu par

l’Union africaine ;

- améliorer le suivi et la surveillance des recommandations autant que

des décisions des mécanismes africains des Droits de l’homme et

- élaborer des approches innovantes, concrètes et collaboratives pour

rendre justice aux africains et aux personnes d’ascendance africaine.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Nous ne serons pas jugés à l’aune de l’éloquence de nos discours, mais

à celle de l’impact de nos actions. Que ce Forum constitue un tournant décisif

dans la quête, ô combien urgente, de justice et de réparation pour les Africains.



VICHAL DIKOBO S

699233518/670376078

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