Du Cameroun, en passant par Paris, mais aussi Lagos et New York, le batteur Joseph "Jojo" Kuo a bourlingué et enchainé les aventures depuis son adolescence pour se faire un nom dans le monde de la musique. En travaillant avec des grands noms tels que Fela Kuti, Mory Kanté, Peter Gabriel, Papa Wemba, mais également Antibalas, le Camerounais au sourire permanent s’est fait une belle réputation au grès des expériences et des voyages pour devenir encore aujourd’hui l’un des batteurs les plus reconnus du milieu. Installé à New York depuis plus de 25 ans, Kuo continue de se faire plaisir, et de vivre sa passion à fond. Portrait.
Certains rêvent d'aventure en regardant vers le ciel. D’autres croient en leur bonne étoile et réalisent leurs rêves. Joseph Kuo est de cette trempe-là, lui, amoureux des sons, aventurier musical, toujours porté par l’envie de découvrir et de traverser les frontières pour explorer sa passion.
Né à Bonanjo en 1959, un quartier de Douala, Joseph Kuo grandit dans une famille nombreuse. "Ma mère allait tout le temps danser en soirée quand elle était enceinte de moi, ça a du joué dans mon amour pour la musique !" rigole-t-il, "elle était couturière, avait une vieille machine à pédale. J’aimais ce mouvement, le rythme. Ça a été mon premier lien avec la batterie".
Le petit Joseph aime le rythme et danse, habillé par sa mère couturière, qui l’amène dans des spectacles locaux. L’âme d’artiste de Jojo se développe, il veut faire de la musique en permanence, mais se trouve limité, car l’accès aux instruments est quasi inexistant. "Je m’essayais avec les casseroles à la maison", se souvient-il, "par chance, mon frère a rapidement vu que la musique était une passion, mais je suis parti à mes huit ans pour vivre chez des amis de mon père". Joseph est un rêveur, et tente de jouer de la musique et de faire des sons avec des objets du quotidien.
Il change de foyer fréquemment, et alors qu’il a 14 ans, dans une salle de restaurant à Douala, il voit pour la première fois un professionnel jouer sur une véritable batterie. "J’étais subjugué par les mouvements, par les sons, ça m’a touché dans mon âme", se remémore-t-il, "j’ai su que je voulais faire ma vie en musique". En 1975, il abandonne le collège et il est recruté par un groupe de musique traditionnelle pour aller à Yapasi, au milieu de la jungle, pour jouer sur…une vraie batterie.
Ses parents ne savent rien de sa première échappée musicale et Joseph a un goût de l’aventure de plus en plus prononcé. L’année suivante, il rejoint le groupe du Bar Gabriel et tourne dans le pays, mais Kuo rêve plus loin. Il demande à son ami Noël Assolo (ndlr : devenu bassiste de Patricia Kass, des Rita Mitsouko) de le rejoindre et ils quittent le pays pour aller au Nigeria, en se débrouillant pour se produire en terres voisines.
"En arrivant dans les villes du Nord, on a tapé à peu près à toutes les portes, on allait tenter notre coup dans des bars ou salles de spectacles", précise Jojo. Le groupe est parrainé par un patron d’hôtel local, mais Kuo disparait une nuit pour se rendre à Kano. Il vise en fait la grande Lagos. "On jouait du George Benson, du funk, on se sapait comme des Américains ! (rires) ça a marqué les gens !", rigole-t-il, "puis retour au Cameroun où je vais commencer à jouer avec Manu Dibango".
En 1978, Kuo perd de l’argent après un mauvais investissement, et décide de repartir au Nigéria, à Lagos. Dans la mégalopole, Kuo, tape à la porte des studios d’enregistrement. Jusqu’au jour où un ami camerounais guitariste, Armand, le présente au grand Fela, qui lui demande de jouer avec lui.
Jojo Kuo passe à la vitesse supérieure avec Kuti. "Il avait un charisme, une aura naturelle. C'était dur de le regarder dans les yeux" se rappelle-t-il, "mais même si on a eu quelques engueulades, car je ne me laissais pas toujours mené par le bout du nez, je sais qu’il m’aimait bien" sourit-il. Le batteur camerounais devient vite incontournable avec le groupe de la star du Shrine et voyage partout dans le monde.
Traverser l’Atlantique pour continuer à expérimenter par la musique
Jojo Kuo s’installe en 1979 à Kalakuta, dans la "République" crée par l’idole de l’afrobeat. Il tente, tant bien que mal, de s’ajuster à la vie de la communauté, et vit sous la coupe de Kuti. "C’était une relation chef spirituel-adepte, il a lui-même établi les règles. J’ai beaucoup appris durant mes six années avec lui", précise-t-il. Il tourne beaucoup avec Kuti, découvre de nouvelles musiques, de nouveaux pays, et se voit déjà loin, bien loin de Lagos.
Au milieu des années 1980, il se rend à Paris, prend des cours au Conservatoire, retrouve d’autres musiciens africains, et apporte sa touche funky sauce "Naija". "Il y avait une curiosité, j’apportais quelque chose de différent, et beaucoup d’artistes ont voulu bosser avec moi, car je ne jouais pas des sons auxquels ils étaient habitués", explique Kuo. "Je rentrais en Afrique de temps en temps. On me payait cher pour venir jouer en studio, car j’ai pu me faire une réputation également en Europe".
Joseph Kuo s’installe définitivement sur le Vieux Continent. Il passe par Londres, Paris, Bruxelles, et continue de se faire un nom aux quatre coins de l’Europe. Dans la capitale française, il joue avec Manu Dibango et Pierre Akendengé, qui veulent qu'il apporte sa touche afrobeat à leurs sons, et la cote de Kuo continue de monter en flèche. Il enchaine les enregistrements avec ces artistes, et travaille avec "Papa Groove" sur plusieurs titres de l’album Electric Africa. En 1987, il collabore avec Mory Kanté, découvre les sons guinéens et maliens. Kuo, qui apprend beaucoup des musiques électroniques et des nouvelles technologies, propose d’apporter sa touche sur Yéké Yéké.
Le succès est immédiat, et la vague déferle partout sur le monde. "On a enregistré dans un château. On avait un cadre parfait de travail, la créativité, mais surtout la liberté dans celle-ci a été immense sur ce morceau", précise-t-il, "on a apporté des sons rock, des sons africains, des sons électroniques. Mory est tombé sur le charme directement, on avait tapé dans le mille. Ça reste l’une de mes plus grandes satisfactions de ma carrière".
Mory Kanté amène Kuo avec lui en tournée mondiale, le tube fait bouger les foules et explose les ventes. "On jouait devant des foules de 20000 personnes, comme des rocks stars !" sourit-il. Kuo poursuit son chemin en terminant la collaboration avec Kanté, fait des allers-retours entre l’Afrique et l’Europe pour aider plusieurs productions, et travaille avec Papa Wemba. Il tourne aussi avec Peter Gabriel, qu’il présente à Manu Dibango, et le Camerounais traverse l’Atlantique, en 1994, et s'installe à New York. "J’ai commencé à tourner à travers le pays, et Manu m’a demandé de lui organiser sa tournée américaine. Mon nom commençait à tourner ici, et j'ai continué à évoluer comme homme et musicien", souligne-t-il.
À New York, il joue dans les plus grandes salles, comme le Lincoln Center, travaille avec Richard Bona, aide à fonder Antibalas, groupe d'afrobeat originaire de Brooklyn. Il est approché par Disney dès 1999 pour travailler comme consultant sur des projets musicaux liés à l’Afrique. Il tourne comme indépendant avec plusieurs groupes à travers le pays entre 2001 et 2016, puis passe par Atlanta, centre névralgique de la musique noire américaine, avant de revenir à New York. "Je veux toujours vivre de nouvelles expériences, et depuis quelques années, je propose aussi des ateliers musicaux et je produis aussi quelques artistes. J’essaye de transmettre mon expérience", conclut-il, "j’ai vécu des milliers de choses et je veux partager mon savoir, c’est très important pour moi".
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